mercredi 10 janvier 2007

Lettre ouverte des grèvistes de la faim détenus au Canada en vertu d'un certificat de sécurité

Lettre ouverte à la population du Canada, de la part des détenus du Guantanamo canadien

Nous vous écrivons aujourd'hui parce que le gouvernement du Canada refuse de nous parler. Nous sommes trois hommes musulmans et sommes détenus en vertu d'un certificat de sécurité, sans accusation depuis de 5 à 6 ans et demi, et ce, sans avoir bénéficié d'une libération sous caution.

Plusieurs groupes, incluant Amnistie Internationale, ont décrit les certificats de sécurité comme étant fondamentalement injustes et déficients. Les Nations unies ont critiqué cette pratique. Présentement, la Cour suprême du Canada tente de déterminer ce que le Canada doit en faire.

Nous sommes détenus dans un endroit qui se nomme le Centre de surveillance de l'immigration de Kingston (CSIK), qui se trouve sur le terrain du pénitencier de Millhaven. Certaines personnes ont rebaptisé cet endroit le « Guantanamo du Nord ». Comme les captifs de la prison de Guantanamo à Cuba, nous sommes détenus indéfiniment. Cela constitue une forme de torture psychologique qui est quasi inimaginable. Nous ne savons pas à quel moment, ni même, si un jour nous en serons relâchés.

Nous avons encore plusieurs mois, voire plusieurs années, de prison devant nous, en attendant que nos dossiers cheminent à travers les différentes procédures judiciaires.

Nous avons été très patients et avons fait de notre mieux pour faire face à un processus contre lequel il est impossible de se défendre. Nous resterons patients et espérons qu'au bout du compte nous soyons libérés, car nous sommes des hommes innocents.

Mais il y a cependant une limite à ce que des êtres humains peuvent tolérer. Au-delà de celle-ci, les voix se lèvent et les gens se tournent vers des actes de dénonciation pacifique.

Nous sommes présentement en grève de la faim (nous ingérons uniquement des liquides) pour protester contre nos conditions de détention. Pour Mohammad Mahjoub, ça fait 45 jours. Pour Mahmoud Jaballah et Hassan Almrei, ça fait 34 jours. Nous ne voulions pas être en grève de la faim. C'est une expérience difficile pour nous et nos familles, mais c'est notre seule voix.

Lorsque nous étions détenus à Toronto, il y a eu plusieurs grèves de la faim pour protester contre nos conditions de détention. À cause de cela, la nouvelle prison à Millhaven a été construite, ce qui a fait en sorte que nous soyons maintenant à trois heures de route de nos proches. Plusieurs promesses - telles que la mise en place de programmes de formation et d'une bibliothèque - n'ont pas été remplies. Nous n'avons pas les mêmes droits que les criminels condamnés, comme les visites privées avec nos familles. Et maintenant, comble de malheur, on nous refuse l'accès aux soins médicaux. Dans un cas, les injections contre l'hépatite C n'ont pas été administrées depuis le 2 septembre 2006. Aucune date de chirurgie nécessaire à guérir une blessure au genou et traiter une double hernie n'a encore été fixée, bien que nous soyons ici depuis le mois d'avril 2006.

Nos revendications sont très simples.

Nous demandons qu'un surveillant soit à nos côtés pour tous nos déplacements dans l'établissement. Ceci est particulièrement important pour nos allées et venues entre l'unité de vie et l'autre pavillon, et lorsque nous allons à l'édifice Millhaven pour nos soins de santé. Sans la présence de ce surveillant, un gardien pourrait formuler de fausses accusations à notre égard. Comme nous l'avons trop souvent constaté ici, lorsque notre parole est confrontée à celle d'un gardien, le personnel prend la défense du gardien.

Dans le cas où nous ne serions pas accompagnés par un surveillant dans nos déplacements vers l'édifice administratif, les soins médicaux doivent être prodigués dans l'unité de vie même. Nous n'avons pas refusé l'offre de soins médicaux. Au contraire, nous voulons recevoir des soins médicaux. Des soins nous étaient donnés dans cet endroit avant le 10 septembre 2006, mais maintenant que nous refusons de nous rendre à l'édifice administratif sans la présence d'un surveillant - une décision que nous avons prise pour notre propre sécurité - on utilise cet argument pour nous priver de soins médicaux.

Nous aimerions pouvoir contacter les médias sans que les gardiens soient présents pendant les entrevues. À Metro West, nous avions un accès privé aux médias, et ce, sans nécessiter la permission de la prison.

Nous voulons que le décompte quotidien des prisonniers cesse. Nous ne sommes que trois détenus, et cet exercice est humiliant et inutile.

Nous aimerions utiliser des cartes d'appel pour contacter nos familles à l'étranger. Le KIHC nous oblige à utiliser le plan interurbain le plus dispendieux, celui que nos familles n'arrivent pas à s'offrir parce qu'elles vivent de l'assistance sociale. Puisque nos appels sont de toute façon surveillés, il est absurde que nous ne puissions utiliser des cartes d'appel moins chères.
Nous voulons les mêmes droits que les autres détenus fédéraux : l'accès à une bibliothèque, la possibilité de suivre un programme de formation ainsi que des visites privées avec nos familles, où nous pouvons vivre ensemble pendant trois jours chaque mois.

Notre « cour » est un petit coin de béton. Trois mètres plus loin, il y a un grand espace vert, mais nous ne pouvons pas en profiter. Il est présentement entouré de deux clôtures, et personne ne l'utilise. Il n'y a aucune raison qui justifie le fait de nous empêcher de profiter de cet espace l'extérieur.

Parce que les désagréments persistent ici, nous nous voyons dans l'obligation d'aller à la racine du problème : l'absence d'un corps indépendant ou d'un médiateur neutre et l'absence de traduction lors des réunions avec le personnel (l'anglais n'est pas notre langue maternelle). Toutes nos plaintes au sujet du personnel sont traitées par le personnel lui-même. Ces personnes ne sont pas objectives et par conséquent nos plaintes sont toujours rejetées, sans possibilité de faire appel. C'est une injustice. Il n'y a pas non plus d'ombudsman avec lequel nous pourrions parler. On nous a dit de faire parvenir nos plaintes à la Croix Rouge, mais nous n'avons pas le droit de les appeler. Par ailleurs, la Croix Rouge n'exerce de toute façon aucune autorité sur cette prison.

Finalement, ce que nous voulons, c'est d'être traités comme des humains. Tous les êtres humains ont des droits. Nous désirons retrouver nos proches, mais en attendant ce moment, nous désirons vivre avec dignité, même ici, au Guantanamo Nord. Il n'y a aucun motif lié à la sécurité pour lequel cela ne peut être possible.

Nos cours pleurent en réaction à la souffrance que nous voyons en ce monde. Nous tentons chaque jour de faire face à des vies qui nous ont été volées sur la base de secrets. Dans cette situation, nos familles sont, elles aussi, confinées en prison. Nos enfants veulent que nous soyons à la maison avec eux, pour jouer, pour aider aux devoirs et nous souhaitons les voir grandir. Nous espérons que ce jour viendra bientôt.

À plusieurs reprises déjà, des gens de partout au pays se sont mobilisés pour nos droits et nous aimerions les remercier du fond de nos cours. Nous nous trouvons présentement dans une situation très difficile. Si le gouvernement ne veut pas nous parler, nous espérons au moins qu'il vous entendra, vous.

Contactez vos députés, écrivez aux journaux et appelez Stockwell Day pour lui demander de régler les problèmes au KIHC. La douleur que nous ressentons à cause de cette longue grève de la faim est aussi vécue par nos familles et nos amis. Tous se préoccupent vivement de notre état de santé. Les procès secrets, comme ceux que nous subissons, blessent la démocratie canadienne.

Il n'y a que la justice qui pourra guérir les plaies.

Mahmoud Jaballah
Mohammad Mahjoub
Hassan Almrei

Publication originale: La tribune du verbe http://www.latribuduverbe.com/archives/2007/01/lettre_ouverte_des_grevistes_d_1.html

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